Le dentiste

Le dentiste

Sciences et Histoire

Extrait d'un dossier que vous pouvez retrouver dans la magazine Largevision Découvertes n.54 : Dubrovnik

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Hygiène buccale, recours à des dentistes de tous poils, utilisation de dents postiches… la propreté et les soins de la bouche furent de tout temps une grande préoccupation humaine.

Hygiène de la bouche au cours des siècles

Art dentaire

Hippocrate, enluminure sur manuscrit grec du XIVe siècle. (Bibliothèque Nationale, Paris).

L’évolution des « bonnes manières » fut souvent curieuse et plaisante à observer. Au cours des siècles, les usages de propreté - notamment de la bouche - prêtaient à sourire.Le poète Apulée (célèbre pour son Âne d’Or) avait, à son retour de Carthage, épousé une riche veuve, de beaucoup son aînée. Pour cela, le fils de cette femme l’accusa de magie mais surtout, entre mille griefs, lui reprocha de prendre un soin excessif de ses dents !À l’occasion de son procès, Apulée prononça son apologie, connue des latinistes. Dans sa défense, l’orateur fit l’éloge de la bouche, « le vestibule de l’âme, la porte des discours, et le portique de la pensée. »Rien, ajoutait-il, n’est moins convenable, « pour l’homme libre et libéral, que la malpropreté de la bouche, noble partie de l’homme qui, par la place qu’elle occupe, est toujours exposée aux regards et remplit le plus de fonctions. »Il terminait du reste par cet argument sans réplique :« Le crocodile lui-même ouvre une gueule inoffensive pour se faire nettoyer les dents par un oiseau du Nil qui, sans courir nul péril, introduit, pour les débarrasser des corps étrangers, son bec dans les interstices des dents. »Ce plaidoyer d’Apulée suffit à témoigner du souci pris par les Anciens d’assurer la propreté de la bouche. Est-il besoin d’une longue démonstration pour établir une évidence ? Pour ceux, toujours disposés à nier que l’Histoire soit un perpétuel recommencement, ce qui suit ne sera pas une superfétation.

Illustration Moyen-Âge

«D comme dentiste » (livre d’Heures, XIVe siècle).

Domitius Rufus « obligé de se faire laver les dents »

Si la coquetterie est aussi vieille que le monde, la femme se montre particulièrement fière de dents d’une blancheur liliale, implantées dans de mignonnes gencives rosées. Tout autant que nous, les dames romaines prenaient un soin extrême de leur bouche. Fait qui prouve combien les Romains donnaient de soins à leurs dents, celui que conte Pline le jeune, en parlant d’un certain Domitius Rufus, paralysé de tous ses membres :« Il ne pouvait pas même se remuer dans son lit sans le concours d’autrui, et c’est affreux à dire, il était obligé de se faire laver et frotter les dents… ».Beaucoup ne lavaient leurs dents qu’avec de l’eau pure. D’autres cependant, faisaient usage d’un dentifrice plutôt singulier (et peu ragoûtant !) venu assure-t-on, d’Espagne. Diodore de Sicile fait allusion à cette coutume espagnole : « Ils lavent, écrit-il, leurs dents avec leur urine. »Après tout, ce liquide contient des sels ammoniacaux, expliquant par là-même son action décrassante. Et Charles de Lorme, médecin du XVIIe siècle, se lavait les yeux avec sa propre urine. C’est ce que rapporte le Dr Cabanès dans son Traité des Mœurs.Dans l’antiquité romaine, une esclave romaine apportait à sa maîtresse, sur une coupe d’or, une petite fiole d’onyx, remplie de l’urine d’un jeune garçon et dans laquelle on délayait de la pierre ponce pilée ; on donnait à ce mélange toutes sortes de couleurs, en y ajoutant de la poussière de marbre.Pour avoir les dents blanches, on connaissait nombre de recettes moins répugnantes. En voici une, donnée par Saint Clément d’Alexandrie, consistant à mâcher du mastic. Bien que datant de plusieurs siècles, elle n’a – paraît-il – rien perdu de son efficacité (les écologistes l’affirment !)On sait que cette gomme qui croît principalement sur l’île de Scio, est produite par un arbre nommé lentisque. Dans le Levant, on en faisait jadis un commerce considérable ; on en expédiait plusieurs milliers de livres à Constantinople. De là, le mastic pénétra jusqu’à Rome où on ne se fit pas faute d’en user. On communiquait à la bouche un parfum agréable grâce au dit mastic. Avec l’arbre, le lentisque, ou plutôt avec la tête pointue de sa feuille, on fabriquait des cure-dents.

© Cheminements Extrait de L’esprit de la beauté de Bérangère Bienfait